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Je n’avais jamais eu à payer l’entrée, au Croquemitaine : lors des rares occasions où j’étais passée par la grande porte, j’avais toujours eu un vampire à mes côtés. Mais, cette fois, j’étais toute seule et, pour tout dire, je n’étais pas franchement à l’aise : j’avais l’impression que tout le monde me regardait. La nuit avait été longue, et j’étais épuisée. J’étais restée à l’hôpital jusqu’à 6 heures du matin et je n’avais dormi que quelques heures.

Pam était de service au bar, ce soir-là. Elle était affublée du long fourreau noir vaporeux de rigueur pour toute préposée à cet office. Pam faisait toujours la tête quand elle était obligée de se déguiser en vampire d’opérette. C’était une immortelle cent pour cent authentique et elle en était fière, mais ses goûts vestimentaires personnels se portaient plutôt sur les twin-sets pastel avec pantalons fluides et ballerines assortis. Elle a semblé surprise – enfin, aussi surprise qu’un vampire peut l’être – quand elle m’a vue m’encadrer dans la porte.

— Tiens, Sookie ! Aurais-tu rendez-vous avec Eric ?

Pour vous dire la vérité, j’étais contente de la voir – pathétique, hein ? Je n’ai pas beaucoup d’amis et ne les en apprécie donc que davantage, même si, pour certains, je les crois tout à fait capables de me coincer dans une ruelle sombre pour arriver à leurs fins avec moi – me vider de mon sang, par exemple.

— Non, mais j’ai besoin de le voir. Pour affaires, ai-je précipitamment ajouté.

Je ne voulais pas qu’on puisse imaginer que je cherchais à m’attirer les faveurs du grand ponte des morts-vivants de Shreveport. J’ai ôté mon manteau carmin et je l’ai plié sur mon bras. La sono était branchée sur DCD, la station de radio des vampires basée à Bâton Rouge. La voix suave de l’animateur de début de soirée, DJ Nosferatu, susurrait :

— Et voici une chanson pour tous les oiseaux de nuit et autres noctambules qui hantaient les ténèbres, cette semaine, en hurlant à la lune. Ahouuuuu ! Bad Moon Rising, un vieux succès de Creedence Clearwater Revival.

DJ Nosferatu faisait un petit clin d’œil aux changelings.

— Attends au bar pendant que je vais le prévenir de ton arrivée, m’a dit Pam. Tu vas voir, le nouveau barman va te plaire.

Les barmen ne faisaient jamais long feu au Croquemitaine. Eric et Pam engageaient toujours un personnage haut en couleur pour ce job – un serveur exotique avait plus de chances d’attirer les touristes humains qui débarquaient par autocars entiers en quête d’émotions fortes. Mais, bizarrement, le taux de renouvellement du personnel à ce poste atteignait des sommets.

Quand je me suis juchée sur un des tabourets de bar, le petit nouveau m’a adressé un super sourire dentifrice. Ah ça, il valait le déplacement ! En plus de ses longs cheveux châtains épais et très bouclés qui tombaient en grappes compactes sur ses épaules, comme des anglaises, il arborait une moustache et un petit bouc en pointe façon Capitaine Crochet. Un bandeau lui barrait le visage, cachant son œil gauche. Comme il avait une tête plutôt étroite et des traits assez épais, son visage en semblait presque surchargé. Il faisait à peu près ma taille – dans les un mètre soixante-dix – et était vêtu d’une chemise noire dans le style pirate, d’un corsaire noir et de cuissardes noires. Il ne lui manquait plus que le foulard à tête de mort et le pistolet à la ceinture.

— Vous ne devriez pas avoir un perroquet sur l’épaule ?

— Ah ! Chère madame, vous n’êtes pas la première à me faire une telle suggestion.

Il avait une magnifique voix de baryton.

— Mais j’ai cru comprendre que certains règlements émanant du ministère de la Santé interdisaient la possession d’un oiseau en liberté dans un débit de boissons.

Il s’est profondément incliné devant moi – aussi profondément que l’étroit espace derrière le comptoir le lui permettait, en tout cas.

— Puis-je vous servir un rafraîchissement et avoir l’honneur et l’avantage de connaître votre nom ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire.

— Mais certainement, monsieur. Je m’appelle Sookie Stackhouse.

Il avait senti que je n’étais pas tout à fait une humaine comme les autres. Les vampires le sentent toujours. J’ai la cote avec les morts-vivants, en général. Pas avec les humains. Le plus drôle de l’histoire, c’est que ma télépathie ne marche pas avec les seuls êtres qui la considèrent comme un véritable don du Ciel. À leurs yeux, cet exceptionnel talent me place nettement au-dessus du reste de l’humanité, alors que les humains préféreraient encore me croire atteinte d’une déficience mentale plutôt que de reconnaître que je possède cette insolite faculté.

Ma voisine de comptoir (cartes de crédit dans le rouge, fils hyperactif avec troubles de l’attention) a pivoté légèrement sur son tabouret et dressé l’oreille. Elle était verte de jalousie. Ça faisait une demi-heure qu’elle s’efforçait d’attirer l’attention du barman, en vain. Elle m’a dévisagée pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu inciter ce bel indifférent à engager la conversation avec moi. Ce qu’elle a vu ne l’a pas vraiment convaincue.

— Absolument ravi de vous connaître, gente et blonde pucelle.

Douce voix et belles manières. Mon sourire s’est encore élargi. Blonde, je l’étais assurément – la blonde aux yeux bleus type –, mais pucelle... Ses yeux se sont attardés sur moi, me détaillant de haut en bas – ce qu’il pouvait en voir, du moins. En tant que serveuse, j’ai l’habitude que les hommes me dévisagent. Il ne me reluquait pas d’un air salace, c’était déjà ça – croyez-moi, quand on est serveuse dans un bar, on sait faire la différence entre le mec qui vous regarde pour jauger la personne à laquelle il a affaire et celui qui vous déshabille du regard parce qu’il a déjà une petite idée derrière la tête.

— J’suis prête à parier qu’elle est plus pucelle depuis des lustres, a craché ma voisine.

J’aurais pu trouver à redire là-dessus, mais là n’était pas la question.

— Je vous prierais d’être polie avec nos autres hôtes, lui a conseillé le vampire, en lui adressant une version nettement plus carnassière de son sourire dents blanches-haleine fraîche.

Ses canines étaient légèrement sorties, et j’ai pu remarquer que, si blanches qu’elles soient, ses dents n’en étaient pas moins de travers. La régularité de la denture n’est un critère de beauté, de ce côté de l’Atlantique, que depuis peu, historiquement parlant.

— Personne me dit ce que j’dois faire, a protesté la femme.

Elle était de mauvaise humeur parce que la soirée ne se passait pas comme elle l’avait prévu. Elle avait cru qu’il serait facile d’attirer un vampire, que n’importe lequel d’entre eux s’estimerait heureux d’avoir ses faveurs. Elle s’était dit qu’elle accorderait une morsure dans le cou au premier qui lui proposerait de renflouer son compte en banque.

Non seulement elle se surestimait, mais elle sous-estimait les vampires : erreur fatale.

— Veuillez me pardonner, madame, mais tant que vous êtes au Croquemitaine, c’est à moi qu’il revient de juger votre comportement dans cet établissement, lui a rétorqué le barman.

Il lui a adressé un regard noir. Je me suis demandé s’il n’y avait pas mis une petite dose d’hypnose à la sauce vampire, car la femme n’a plus bronché.

— Mon nom est Charles Twining, a-t-il enchaîné, reportant toute son attention sur moi.

— Enchantée de vous connaître.

— Et pour la boisson, ce sera ?

— Un Coca.

Il fallait que je sois en pleine possession de mes moyens pour rentrer à Bon Temps, après avoir vu Eric – et pour voir Eric, d’ailleurs.

Il a eu un petit haussement de sourcils, mais s’est gardé de tout commentaire. Il m’a servi mon verre et l’a posé sur une petite serviette, en face de moi. Je l’ai payé et j’ai glissé un généreux pourboire dans le bocal prévu à cet effet. La petite serviette blanche était décorée de crocs ourlés de noir, avec une simple goutte rouge tombant de la canine droite – du sur mesure, à n’en pas douter. Dans le coin opposé, Le Croquemitaine était imprimé en lettres rouges sanguinolentes, comme sur l’enseigne extérieure. Trop chou. Il y avait aussi des tee-shirts et des lunettes en vente au Croquemitaine avec le même logo. Sous le nom de l’établissement, on pouvait lire : « Le Croquemitaine, le bar qui a du mordant. » De toute évidence, Eric s’était massivement lancé dans les produits dérivés. Sa technique marketing s’était drôlement affûtée en quelques mois.

En attendant qu’Eric soit libre, j’ai regardé Charles Twining officier. Il était poli avec tout le monde, faisait en sorte que les demandes des clients soient rapidement satisfaites et conservait son calme en toutes circonstances. Je préférais nettement sa façon de travailler à celle de Chow, son prédécesseur, qui donnait toujours l’impression de vous faire une faveur quand il vous servait un verre. Quant à Grande Ombre – le barman qui avait précédé Chow –, il avait un gros faible pour la clientèle féminine : une source d’ennuis à n’en plus finir, dans un bar.

Perdue dans mes pensées, je ne m’étais pas rendu compte que Charles Twining se tenait juste en face de moi, de l’autre côté du comptoir, jusqu’à ce qu’il finisse par me tirer de ma rêverie.

— Mademoiselle Stackhouse, puis-je me permettre de vous dire que vous êtes très jolie, ce soir ?

— Merci, monsieur Twining, lui ai-je répondu, entrant délibérément dans son jeu.

Le coup d’œil roublard qui faisait luire sa prunelle chocolat noir ne laissait aucun doute sur le genre de personnage auquel j’avais affaire : un embobineur de première. Et la confiance que je lui accordais allait à peu près aussi loin que la distance à laquelle j’aurais pu le projeter en cas de besoin, autrement dit trois fois rien : les effets de ma dernière transfusion de sang de vampire s’étaient dissipés, et j’étais redevenue une humaine tout ce qu’il y a d’ordinaire. Attention, ne vous méprenez pas, je n’ai rien d’une junkie. C’était une situation d’urgence, une question de vie ou de mort. À ce moment-là, j’avais absolument besoin de reprendre des forces en un temps record. Qu’elles aient été décuplées pendant plus d’un mois n’avait été qu’un effet tout à fait secondaire.

Non seulement j’avais recouvré une forme physique standard – pour une fille dans la vingtaine qui s’entretenait un minimum, du moins –, mais mon apparence était également redevenue parfaitement normale : plus de bonus de charisme dû à l’absorption d’hémoglobine vampiresque, hélas ! Sans compter que je ne m’étais pas mise sur mon trente et un, de peur qu’Eric croie que je m’étais faite belle exprès pour lui. Mais je ne ressemblais pas à rien non plus. Je portais un jean taille basse avec un petit haut blanc à manches longues et à encolure bateau qui m’arrivait juste à la taille et qui, quand je marchais, dénudait mon ventre – lequel n’avait rien d’un ventre de poisson flasque et laiteux, vous pouvez me croire (encore merci au loueur de vidéos de Bon Temps qui avait eu la bonne idée de faire installer une cabine UV dans son magasin).

— De grâce, madame, appelez-moi Charles ! a déclamé le barman avec emphase, la main sur le cœur.

Cette fois, j’ai carrément éclaté de rire. Le geste théâtral ne perdait rien de son romanesque, même si le Roméo en question n’avait plus de cœur depuis belle lurette.

— Avec plaisir, ai-je répondu en baissant les yeux avec une modestie de jouvencelle, si vous m’appelez Sookie.

Il a roulé des yeux d’acteur de film muet transi par la violence de l’émotion. J’ai ri de plus belle. C’est à ce moment-là que Pam m’a tapoté l’épaule.

— Si tu parviens à t’arracher à ton nouveau petit copain, Eric est libre.

J’ai adressé à Charles un simple hochement de tête, avant de quitter mon tabouret pour suivre Pam. À ma grande surprise, elle ne s’est pas dirigée vers le bureau d’Eric, mais vers un des box du pub. De toute évidence, Eric était de service. Tous les vampires de la région de Shreveport devaient faire un certain nombre d’heures de figuration par semaine au Croquemitaine, pour le plus grand plaisir des touristes. Eric montrait donc l’exemple à ses vassaux – l’organisation des vampires est structurée selon un système quasi féodal, dans lequel Eric possède le titre de shérif – en venant se pavaner devant « la vermine » à intervalles réguliers, «vermine » étant le terme qu’utilisait Pam pour nous désigner, nous, misérables humains.

Habituellement, le shérif de la cinquième zone s’asseyait dans un grand fauteuil en cuir blanc qui lui était exclusivement réservé, au centre du club, mais cette fois, il avait pris place dans le box du coin le plus discret de l’établissement. Il me regardait approcher. Je savais qu’il enregistrait tout : mon jean plutôt moulant, mon ventre dénudé et mon petit haut, que la nature avait généreusement rempli. Je me suis tout de suite dit que j’aurais dû mettre mes vêtements les plus ringards – et, croyez-moi, je n’aurais eu que l’embarras du choix : mon armoire en est pleine. Je n’aurais pas dû non plus prendre mon manteau rouge : c’était Eric qui me l’avait offert. En clair, j’aurais dû tout faire pour ne pas plaire à Eric. Or, je me rendais compte que j’avais fait exactement le contraire. Je m’étais juste voilé la face.

Eric s’est glissé hors du box, dépliant son mètre quatre-vingt-dix bien tassé. Sa crinière de longs cheveux blonds cascadait dans son dos et ses yeux brillaient comme des saphirs sertis dans son visage de marbre blanc. Il avait des traits taillés à la serpe, de hautes pommettes saillantes et un menton carré. Il avait l’air d’un Viking sans foi ni loi, du genre de ceux qui pouvaient piller et raser un village en deux coups de cuillère à pot. Et pour cause : c’était très précisément ce qu’il était – enfin, ce qu’il avait été il y avait des siècles de ça.

Comme je l’ai dit, les vampires ne serrent jamais la main de leurs interlocuteurs, sauf circonstance exceptionnelle. Aussi n’attendais-je pas de salut particulier de la part d’Eric. Il s’est pourtant penché pour m’embrasser sur la joue et s’est suffisamment attardé pour que ça passe pour de l’insistance. Tentait-il de me séduire, par hasard ?

Ce qu’il ignorait, c’est qu’il ne devait pas rester un centimètre carré du corps de Sookie Stackhouse qu’il n’ait déjà embrassé. Nous avions été aussi proches et aussi intimes qu’un homme et une femme peuvent l’être.

Eric n’en avait tout simplement pas gardé le moindre souvenir. Et je n’avais aucune envie que ça change. Enfin, pas envie... Disons que je savais que ce serait mieux pour tout le monde qu’Eric ne se rappelle jamais rien de notre brève aventure.

— Joli, le vernis, a-t-il commenté en souriant.

Il avait un léger accent. L’anglais n’était pas sa deuxième langue, évidemment. Sa vingt-cinquième, peut-être ?

Je ne lui ai pas rendu son sourire, mais j’étais flattée. On pouvait compter sur Eric pour remarquer la seule chose qu’il y avait de nouveau ou de différent chez moi. Je n’avais jamais porté les ongles longs avant, et c’était la première fois que je mettais du vernis rouge – carmin, pour aller avec mon manteau.

— Merci. Comment ça va ?

— Très bien.

Il m’a désigné la banquette en face de la sienne d’un geste de la main, et je me suis assise.

— Pas trop de mal à reprendre les rênes ? ai-je ajouté, pour lui faire comprendre où je voulais en venir.

Quelques semaines plus tôt, une sorcière lui avait jeté un sort d’amnésie, et il lui avait fallu plusieurs jours pour recouvrer sa véritable personnalité. Pendant ce temps, Pam l’avait planqué chez moi pour le protéger de la sorcière en question. Le rapprochement aidant, le désir avait fait son œuvre. Plusieurs fois. Plein de fois.

— C’est comme le vélo : ça ne s’oublie pas.

J’ai dû m’obliger à me concentrer. J’étais en train de me demander quand la bicyclette avait été inventée et si Eric avait participé à son invention.

— J’ai tout de même reçu un étrange coup de téléphone du maître de Grande Ombre, un Indien du nom de Chaude Pluie. Tu te souviens de Grande Ombre ?

— Je pensais justement à lui, tout à l’heure.

Grande Ombre avait été le premier barman du Croquemitaine. Il se servait dans la caisse, et Eric m’avait obligée à interroger tout le personnel jusqu’à ce que je découvre le coupable. Grande Ombre avait bien failli m’égorger, mais Eric était intervenu en lui plantant le traditionnel pieu dans le cœur. Tuer un de ses semblables est un acte d’une extrême gravité, chez les vampires, et Eric avait été contraint de payer une lourde amende – à qui, ça, je n’en savais rien. Si Eric avait tué Grande Ombre sans raison valable, d’autres pénalités lui auraient été appliquées. Je préférais ne pas chercher à découvrir les châtiments qu’il aurait endurés.

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Me dire que, bien que je lui aie payé le prix fixé par le médiateur, il ne s’estimait pas satisfait.

— Il veut plus d’argent ?

— Je ne crois pas. Il semble penser qu’une compensation financière n’est pas de nature à le dédommager.

Il a haussé les épaules.

— En ce qui me concerne, l’affaire est réglée.

Il a avalé une gorgée de sang de synthèse, s’est calé contre son dossier et m’a dévisagée avec ce regard bleu indéchiffrable.

— Tout comme mon petit problème de mémoire, a-t-il ajouté. Le chapitre est clos : les sorcières sont mortes et l’ordre est revenu sur mon territoire. Et toi, qu’est-ce qui t’amène ?

— Eh bien, je suis venue pour affaires.

— Que puis-je faire pour toi, ma chère Sookie ?

— Sam a quelque chose à te demander.

— Et il t’envoie le faire pour lui. Est-il très intelligent ou complètement idiot ?

— Ni l’un ni l’autre, ai-je répondu en m’efforçant de ne pas être trop cassante. Il est surtout très handicapé. En clair, il s’est fait tirer dessus hier soir et il a la jambe cassée.

— Comment est-ce arrivé ?

J’avais réussi à capter toute l’attention de mon interlocuteur. Je lui ai expliqué ce qui s’était passé. J’ai eu un frisson en lui décrivant la scène : Sam et moi, tout seuls devant le parking désert, la nuit noire, le coup de feu...

— Arlène venait juste de filer. Elle est rentrée chez elle sans se douter de rien. La nouvelle cuisinière, Sweetie, était partie aussi. Le coup est venu des arbres, au nord du parking.

J’ai frissonné de plus belle. De peur, cette fois.

— À quelle distance étais-tu ?

— Oh ! Tout près.

Ma voix tremblait.

— Je venais de me retourner pour... Et puis, il a... Oh ! Il y avait du sang partout.

Le visage d’Eric s’était durci.

— Qu’as-tu fait ?

— Sam avait son portable dans sa poche, Dieu merci ! J’ai plaqué une main sur le trou dans sa jambe et, de l’autre, j’ai fait le 911.

— Comment va-t-il ?

— Bien.

J’ai pris une profonde inspiration pour me calmer.

— Enfin, aussi bien qu’on peut aller quand on s’est fait tirer dessus.

J’avais réussi à empêcher ma voix de trembler. J’étais fière de moi.

— N’empêche qu’il est tout de même hors circuit pour un moment, et tant de... de choses bizarres se sont passées au bar, ces derniers temps... Terry, le mec qui le remplace, ne peut pas tenir plus de deux nuits de suite. Il est un peu... dérangé.

— Et alors ? Qu’est-ce que Sam attend de moi, exactement ?

— Il voudrait t’emprunter un barman, le temps que sa jambe guérisse.

— Pourquoi me demander ça à moi ? Pourquoi pas au chef de meute de Shreveport ?

Les changelings sont rarement organisés en société structurée, mais les loups-garous de Shreveport font exception à la règle. Eric avait raison : il aurait été bien plus logique que Sam s’adresse au colonel Flood.

J’ai regardé mes mains, qui enserraient mon verre de Coca comme un étau.

— Quelqu’un s’amuse à faire un carton sur les changelings et les lycanthropes, à Bon Temps.

J’avais baissé la voix. Je savais qu’Eric m’entendrait, malgré la musique et le brouhaha des conversations.

C’est alors qu’un jeune type est venu vers nous en titubant, une recrue de l’armée de l’air tout droit sortie de la base de Barksdale, qui était située sur la commune de Shreveport. Rien qu’à voir sa coupe de cheveux, son corps d’athlète et ses copains – pratiquement des clones –, je l’avais catalogué. Il s’est balancé sur ses talons un moment, en nous regardant alternativement, Eric et moi.

— Hé, toi ! m’a-t-il lancé, en m’enfonçant un index accusateur dans l’épaule.

J’ai levé les yeux vers lui, déjà résignée à l’inévitable. Certaines personnes ont l’art de chercher les ennuis, surtout quand elles ont un petit coup dans le nez. Ce jeune type, avec sa coupe rase-mottes et sa carrure de déménageur, était loin de chez lui et bien décidé à se prouver qu’il était un homme.

Il n’y a pas grand-chose qui m’énerve plus que d’être apostrophée en public par un « Hé, toi ! » avec un doigt accusateur, si ce n’est de me faire triturer l’épaule avec ce doigt-là. Mais je me suis efforcée de garder mon calme face à mon charmant interlocuteur. Il avait une bouille ronde de gamin, des yeux ronds, une petite bouche ronde et d’épais sourcils bruns. Il portait une chemise de laine toute neuve et un pantalon de treillis impeccablement repassé. Il était également remonté à bloc et fermement décidé à en découdre.

Bien résolue à désamorcer la situation, j’ai pris ma voix la plus mélodieuse pour lui dire :

— Je ne crois pas vous connaître.

— Tu devrais pas être à la table d’un vampire. Les humaines devraient pas fréquenter des déterrés.

Combien de fois avais-je entendu ça ? J’avais eu droit à ce genre de remarque plus souvent qu’à mon tour quand je sortais avec Bill.

— Tu devrais rejoindre tes amis, Dave. Tu ne voudrais pas que ta mère reçoive un coup de fil lui annonçant que son fils chéri s’est fait tuer en se bagarrant dans un bar de Louisiane, hein ? Surtout dans un vamp’bar, hum ?

— Comment tu sais mon nom ?

— Qu’est-ce que ça change ?

Du coin de l’œil, je voyais Eric hocher la tête. Il ne fallait pas que la conversation se prolonge. Il ne gérait pas comme moi ce genre d’intrusions intempestives. Et je préférais ne pas lui laisser l’occasion de me montrer l’efficacité de sa méthode.

Dave a semblé dessoûler d’un coup.

— Comment tu me connais ? m’a-t-il demandé d’un ton nettement moins agressif.

Je lui ai répondu avec la solennité d’un pasteur en chaire :

— J’ai une vision X : je vois ton permis à travers ton pantalon.

Il a ébauché un sourire.

— Ah ! Et tu peux voir d’autres trucs à travers mon pantalon ?

Je lui ai rendu son sourire.

— Tu es gâté, Dave, ai-je répondu, ce qui pouvait prêter à toutes sortes d’interprétations. Seulement, vois-tu, je suis en train de parler affaires avec ce mec. Alors, si tu veux bien nous excuser...

— Oh ! OK, désolé, je...

— Y a pas de mal.

Il est retourné auprès de ses copains en roulant des mécaniques. J’étais sûre qu’il allait leur faire un compte rendu très personnel de notre conversation, avec quelques changements notables – à son avantage, cela va de soi.

Les clients du bar, qui avaient suivi avec intérêt cet incident si prometteur et si riche en violence potentielle, se sont empressés de faire semblant d’être occupés quand le regard d’Eric a balayé les tables autour de nous.

— Tu allais me dire quelque chose quand nous avons été insolemment interrompus, a-t-il posément repris.

Sans que j’aie rien demandé, une serveuse est venue déposer une nouvelle consommation devant moi et a escamoté mon verre vide avec adresse. Les invités d’Eric avaient droit au traitement V.I.P., apparemment.

— Oui. Sam n’est pas le seul changeling à s’être fait tirer dessus, à Bon Temps. Calvin Norris s’est pris une balle en pleine poitrine hier matin. C’est une panthère-garou. Et Heather Kinman s’est fait descendre peu avant. Elle avait dix-neuf ans. C’était un renard-garou.

— Je ne vois toujours pas en quoi c’est censé m’intéresser.

— On l’a assassinée, Eric !

Il m’a dévisagée sans comprendre.

J’ai résisté à l’envie de lui décrire la fille adorable qu’on avait liquidée, comme ça, de sang-froid : elle venait juste d’avoir son bac et de décrocher son premier job dans une entreprise de fournitures de bureau. Elle était en train de boire un milk-shake au Sonic quand elle s’était fait trucider. Le labo de la criminelle devait comparer la balle qui avait blessé Sam avec celle qui avait tué Heather Kinman, puis avec celle qu’on avait retrouvée dans la poitrine de Calvin Norris. J’aurais parié qu’elles venaient de la même arme.

— J’essaie juste de t’expliquer pourquoi Sam ne veut pas d’un autre changeling ou d’un lycanthrope pour le remplacer, lui ai-je patiemment répondu, en serrant les dents. Il a peur de l’exposer inutilement à un danger bien réel. Et comme il ne trouve pas d’humain à Bon Temps qui ait les qualifications requises pour le job, il m’a demandé de venir te voir.

— Quand tu m’as recueilli chez toi, Sookie...

— Oh, Eric ! ai-je grogné. Lâche-moi un peu avec ça !

Ça le tuait de ne pas pouvoir se rappeler ce qui s’était passé pendant qu’il était ensorcelé.

— Un jour, ça me reviendra.

Il boudait presque.

Quand il retrouverait la mémoire, il ne se souviendrait pas seulement d’avoir couché avec moi : il se souviendrait peut-être aussi de la femme qui m’avait attendue, assise dans ma cuisine, un flingue à la main. Il se souviendrait peut-être qu’il m’avait sauvé la vie en prenant la balle qui m’était destinée. Il se souviendrait peut-être que j’avais tué la femme en question. Il se souviendrait peut-être que c’était lui qui avait caché le corps...

Il se rendrait alors compte qu’il avait sur moi une emprise... éternelle.

Il se souviendrait peut-être aussi qu’il s’était abaissé à me proposer de tout abandonner pour venir vivre avec moi.

La partie sexe, il aurait grand plaisir à se la rappeler. Le pouvoir qu’il exerçait sur moi aussi. Mais, allez savoir pourquoi, je ne pensais pas qu’Eric aimerait se remémorer le reste.

— Oui, ai-je répondu, en contemplant obstinément mes mains. Un jour, j’imagine, tu te souviendras...

Ils passaient une vieille chanson de Bob Seger sur DCD : Night Moves. J’ai aperçu Pam qui dansait, son corps extraordinairement souple et musclé se courbant et se tordant dans des figures impossibles à exécuter pour un corps humain normalement constitué.

J’aurais bien aimé la voir danser sur de la musique vampire live. Ce genre de concert, c’est un truc à ne pas rater. Inoubliable ! Quand je sortais avec Bill, il m’avait emmenée écouter un groupe qui jouait au Croquemitaine avant de continuer sa tournée vers La Nouvelle-Orléans. Le chanteur des Renfield’s Masters – c’était leur nom – avait versé des larmes de sang en chantant une ballade.

— C’est très habile de la part de Sam de te faire jouer les émissaires, a commenté Eric après un long silence.

Il a marqué une pause.

— Je crois que je peux me passer d’un employé.

J’ai senti la tension qui nouait mes épaules se relâcher. J’ai baissé la tête pour respirer un bon coup. Quand j’ai relevé les yeux vers lui, Eric balayait le club du regard, passant en revue les candidats potentiels parmi les membres de son personnel.

Je les connaissais tous, sinon bien, du moins de vue. Thalia était une beauté classique au profil grec – elle avait d’ailleurs un fort accent que j’aurais bien situé de ce côté-là des Balkans. Elle avait de longues anglaises noires qui cascadaient dans son dos et un caractère bien trempé, genre soupe au lait. Indira incarnait l’Indienne type, yeux de biche et bindi compris. Personne ne la prendrait au sérieux... avant que les choses ne commencent à dégénérer. Maxwell Lee était un conseiller financier noir. Bien qu’aussi puissant que n’importe quel autre vampire, il n’aimait pas recourir à la force et n’était donc pas le plus qualifié pour jouer les videurs.

— Et si je lui envoyais Charles ?

Eric avait dit ça d’un ton dégagé, comme s’il s’agissait d’une suggestion anodine, mais je le connaissais trop pour ne pas le soupçonner de nourrir quelque dessein précis en arrêtant son choix sur le beau pirate.

— Ou Pam ? ai-je proposé. N’importe quel vampire fera l’affaire, pour peu qu’il sache garder son sang-froid...

Au même moment, Thalia broyait une tasse en métal avec ses doigts pour impressionner un humain qui essayait de la draguer. J’ai vu le type blêmir et détaler vers sa table. Certains vampires apprécient la compagnie des humains. Thalia n’en fait pas partie.

— Charles est le vampire le plus calme que j’aie jamais rencontré. Quoique je le connaisse encore mal. Il ne travaille au Croquemitaine que depuis quinze jours.

— Il semble avoir largement de quoi s’occuper ici.

— Oh ! Je saurai me passer de lui.

Eric m’a alors décoché un regard hautain propre à me faire comprendre que c’était à lui de décider des missions qu’il donnait à son personnel.

— Hum... D’accord.

Les clients de Chez Merlotte adoreraient le pirate, et les bénéfices de Sam augmenteraient en conséquence.

— Voici mes conditions, a repris Eric en rivant sur moi son regard bleu glacier. Sam approvisionnera Charles en sang et lui procurera un endroit sûr où dormir. Tu pourrais le prendre chez toi, comme tu l’as fait pour moi.

— Ou je ne pourrais pas. Je ne tiens pas une auberge pour vampires de passage, figure-toi.

Frank Sinatra chantait Strangers in the night en fond sonore.

— Bien sûr que non ! Mais tu as quand même été grassement dédommagée pour m’avoir hébergé.

Il venait de toucher un point sensible. Je n’ai pas pu retenir une grimace.

— C’était une idée de mon frère !

J’ai soudain surpris une étincelle dans les yeux d’Eric et je me suis sentie rougir jusqu’à la racine des cheveux. Je n’avais fait que confirmer ce qu’il soupçonnait déjà.

— Mais il a eu tout à fait raison, ai-je aussitôt ajouté, en mettant dans mon ton un maximum de conviction. Pourquoi est-ce que j’aurais supporté la présence d’un vampire chez moi, si je n’avais pas été payée pour ça ? J’avais besoin de ce fric, après tout.

— Mes cinquante mille dollars sont-ils déjà partis en fumée ? s’est enquis Eric d’une voix un peu trop calme. Jason en aurait-il profité ?

Il s’agissait de jouer l’indignation à fond et en prenant la voix cassante qui s’imposait.

— Mais ça ne te regarde absolument pas ! me suis-je exclamée.

J’avais effectivement donné à Jason un cinquième de la somme, bien qu’il ne m’ait rien demandé. Mais je dois admettre qu’il comptait bien recevoir sa part du magot. Cependant, comme j’en avais nettement plus besoin que lui, j’en avais gardé plus que je ne l’avais prévu au départ.

Je ne bénéficiais d’aucune couverture sociale, alors que Jason était assuré par sa boîte. Ça m’avait donné à réfléchir. Et si je tombais malade ? Et si je devenais invalide ? Et si je me cassais un bras ? Et si j’étais obligée de me faire opérer de l’appendicite ? Non seulement je ne pourrais pas faire mes heures au bar, mais j’aurais les notes d’hôpital à régler. Or, un petit séjour à l’hôpital, si bref soit-il, ce n’est pas donné. J’avais eu quelques factures d’ordre médical à régler, l’année précédente, et je les avais senties passer.

Maintenant, j’étais bien contente d’avoir eu ce sursaut de prudence. En temps normal, je ne suis pas très prévoyante. Je suis trop habituée à vivre au jour le jour. Mais l’accident de Sam m’avait ouvert les yeux. Jusque-là, j’en étais encore à me dire que j’aurais eu bien besoin de changer de voiture, que les rideaux du salon étaient plutôt miteux et qu’il aurait été drôlement pratique d’en commander de nouveaux chez JCPenney. Il m’était même venu à l’idée que ce ne devait pas être désagréable d’acheter une robe en dehors de la période des soldes. Mais quand Sam s’était retrouvé avec la jambe cassée, mon accès de frivolité avait vite été douché. Ça m’avait calmée net.

Pendant que DJ Nosferatu annonçait la prochaine chanson, Eric m’a dévisagée en silence.

— Je voudrais pouvoir lire dans tes pensées comme tu lis dans celles des autres humains, a-t-il fini par dire. J’aimerais vraiment savoir ce qui se passe dans cette jolie tête blonde. Et j’aimerais savoir pourquoi j’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans cette jolie tête blonde.

Je me suis contentée de lui adresser un petit sourire en coin.

— J’accepte les conditions : gîte et sang à volonté. Mais le gîte ne sera pas forcément chez moi. Quel est ton prix ?

Le sourire qu’Eric m’a adressé à son tour m’a semblé nettement plus retors que le mien.

— Je me ferai payer en nature. J’aime l’idée que Sam ait une dette envers moi.

J’ai appelé Sam avec le portable qu’il m’avait prêté pour l’occasion et je lui ai expliqué la situation. Il a poussé un soupir résigné.

— OK. Il pourra dormir en sécurité au bar. Quand peut-il venir ?

J’ai transmis la question à Eric.

— Dès maintenant.

Eric a hélé une des serveuses, qui portait le long fourreau noir fendu jusqu’à la hanche et profondément décolleté réservé aux humaines employées au Croquemitaine. Je vais vous dire un truc sur les vampires : ils détestent servir les autres. Ils ne sont pas très doués pour ça non plus, il faut bien le reconnaître. Et vous ne verrez jamais un vampire desservir une table. Les vampires embauchent toujours des humains pour faire le sale boulot, c’est bien connu.

Eric a dit à la serveuse d’aller chercher Charles. Elle s’est inclinée, en se frappant l’épaule du poing.

— Bien, maître.

Charles a joué les Zorro en sautant par-dessus le bar et, pendant que le public applaudissait, il s’est dirigé d’un pas nonchalant vers nous.

Après m’avoir fait une petite courbette, il s’est tourné vers Eric, tout ouïe.

— Cette femme te dira ce que tu dois faire. Tant qu’elle aura besoin de tes services, considère-la comme ton seigneur et maître.

Je ne parvenais pas à déchiffrer l’expression de Charles pendant qu’Eric lui donnait de telles directives, mais je savais que nombre de vampires auraient catégoriquement refusé d’être à la disposition d’un humain – alors, d’une humaine ! –, quoi qu’ait pu en dire leur chef.

— Non, Eric ! me suis-je écriée, choquée. S’il a des comptes à rendre à quelqu’un, c’est à Sam, pas à moi.

— Sam t’a envoyée. C’est donc à toi que je confie Charles.

Le visage d’Eric s’était fermé. Je savais d’expérience que quand il faisait cette tête-là, ce n’était pas la peine d’insister.

J’ignorais ce qu’il allait sortir de tout ça, mais j’étais sûre que c’était mal parti.

— Laissez-moi aller chercher mon manteau, et je serai prêt à vous suivre dès qu’il vous plaira.

Sur ces bonnes paroles, Charles Twining m’a fait une gracieuse et profonde révérence, me mettant dans une situation qui m’a paru d’un ridicule achevé. J’ai émis une sorte de gargouillis en guise d’assentiment et, bien que toujours incliné devant moi, Charles a légèrement tourné la tête pour me faire un clin d’œil. Je me suis tout de suite sentie beaucoup mieux.

Dans le haut-parleur fixé au mur, DJ Nosferatu disait :

— Salut à vous, auditeurs de la nuit ! Pour continuer cette série réservée aux vrais mordus, cent pour cent accros à la bonne musique, voici un grand succès...

Et comme les premières notes de Here comes the night s’élevaient, Eric m’a demandé :

— Tu danses ?

J’ai jeté un coup d’œil à la petite piste déserte. Argh ! Mais Eric avait trouvé un barman qui ferait aussi office de videur pour Sam : il avait accédé à la requête que je lui avais transmise. Je devais donc me montrer aimable avec lui.

J’ai accepté poliment et me suis glissée sur la banquette pour m’extraire du box où nous étions attablés. Eric m’a offert sa main, que j’ai prise, et m’a enlacée.

En dépit de notre différence de taille, on s’en sortait plutôt bien. J’ai fait celle qui ne s’apercevait pas que tout le bar nous regardait, et on a commencé à évoluer sur le parquet. Je me concentrais sur la gorge d’Eric pour ne pas avoir à le regarder dans les yeux.

A la fin de la chanson, il m’a murmuré :

— C’est curieux comme ça me paraît familier de te tenir dans mes bras...

Au prix d’un effort surhumain, j’ai réussi à garder les yeux fixés sur sa pomme d’Adam. J’avais une envie folle de lui susurrer : « Tu m’as dit que tu m’aimais et que tu resterais avec moi à jamais. »

Au lieu de quoi, je lui ai lancé :

— Dans tes rêves !

Je lui ai lâché la main aussi vite que j’ai pu et je me suis écartée, échappant précipitamment à son étreinte.

— Au fait, ai-je enchaîné pour changer de sujet, tu n’aurais pas croisé un vampire à l’air mauvais du nom de Vlad, par hasard ?

Le résultat a été au-delà de mes espérances : Eric m’a saisi la main et l’a broyée à me faire mal.

— Aïe !

Il a aussitôt desserré son emprise.

— Il est venu ici la semaine dernière. Où l’as-tu vu ?

— Chez Merlotte.

J’étais stupéfaite de l’effet produit par ma question.

— Où est le problème ?

— Que faisait-il là-bas ?

— Il buvait un Rouge-Sang en compagnie de mon amie Nikkie. Tu la connais, d’ailleurs. Le Cercueil, Jackson ?

— Si mes souvenirs sont bons, elle était alors sous la protection de Franklin Mott.

— Oui. Enfin, ils sortaient ensemble. Aux dernières nouvelles, c’était toujours le cas. Je ne comprends pas comment il peut la laisser se balader avec un mec comme ce Vlad. J’espérais qu’il lui servait de garde du corps ou quelque chose comme ça.

J’ai récupéré mon manteau posé sur la banquette de notre table.

— Alors, c’est quoi l’histoire ?

— Ne t’approche pas de ce type. Ne lui parle pas. Surtout, ne le provoque pas. Et n’essaie pas d’aider ton amie Nikkie. Quand il est venu ici, Vlad s’est essentiellement entretenu avec Charles. Charles m’a dit que c’était un gredin de la pire espèce. Il peut faire preuve d’une barbarie sans nom. Prends tes distances avec Nikkie.

J’ai tendu vers lui mes mains ouvertes en signe d’incompréhension.

— Il est capable de choses qu’aucun de nous ne ferait.

C’était tout dire. Je l’ai dévisagé, sous le choc et terriblement inquiète pour Nikkie.

— Je ne peux pas tout simplement ignorer la situation. Je n’ai pas tant d’amis que je puisse me permettre d’en laisser un passer à la trappe sans lever le petit doigt.

— Si elle est intimement liée avec Vlad, elle n’est plus qu’un tas de viande sur pattes.

J’appréciais la franchise, mais la brutalité des propos d’Eric me restait un peu en travers de la gorge. Il m’a pris mon manteau des mains pour m’aider galamment à l’enfiler et m’a massé les épaules pendant que je fermais les boutons.

— Il te va bien.

Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’il ne voulait plus entendre parler du dangereux Vlad.

— Tu as eu mon petit mot de remerciement ?

— Oui. Très... poli.

J’ai hoché la tête pour lui indiquer, à mon tour, que le chapitre était clos. Mais, forcément, il ne l’était pas.

— Je me demande encore d’où venaient ces taches de sang sur ton vieux manteau bleu, a-t-il murmuré d’un ton préoccupé.

J’ai brusquement relevé les yeux vers lui et, une fois de plus, je me suis maudite d’avoir été aussi imprudente. Quand Eric était venu me remercier de l’avoir hébergé, il avait profité de ce que j’étais occupée ailleurs pour fouiller la maison et était tombé sur mon manteau.

— Qu’avons-nous fait, Sookie ? Et à qui ?

— C’était du sang de poulet, Eric. Juste du sang de poulet. J’avais tué un poulet pour notre dîner.

Je mentais, bien sûr. Mais j’avais vu ma grand-mère faire ça quand j’étais petite, bien que je ne l’aie jamais fait moi-même.

— Sookie, Sookie... Mon pipeaumètre est au rouge. Fabuler à ce point, est-ce bien raisonnable ?

Il avait dit ça froidement, sans sourire, en secouant la tête comme un instituteur qui réprimande un mauvais élève.

Ça m’a tellement prise au dépourvu que j’ai éclaté de rire. C’était une bonne conclusion. J’apercevais Charles Twining qui patientait dans l’entrée, un pardessus résolument moderne sur le dos.

— Au revoir, Eric, et merci pour le barman.

À m’entendre, on aurait pu croire qu’Eric venait de me refiler des piles pour mon Walkman ou un peu de sel pour faire cuire mes pâtes. Il a effleuré ma joue de ses lèvres glacées.

— Fais attention en conduisant, m’a-t-il dit. Et ne t’approche pas de Vlad. Il faut que je sache ce qu’il est venu faire sur mon territoire. Appelle-moi si tu as le moindre problème avec Charles.

Derrière lui, je pouvais voir la même femme toujours assise sur son tabouret de bar, celle qui avait aimablement fait remarquer à Charles que je n’avais plus rien d’une pucelle. Elle se demandait manifestement comment j’avais pu m’attirer les faveurs d’un vampire aussi éminent et aussi séduisant qu’Eric.

Je me posais souvent la même question.

La morsure de la panthere
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